Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

80's - Page 10

  • La dernière cible (1988)

    Un film de Buddy Van Horn

    3202596511_c387446478_m.jpgAlors, mon bon Buddy, raconte-nous comment tu est arrivé à faire un Inspecteur Harry qui ressemble à un Derrick (R.I.P.) sous perfusions d’éclairages fluo et de déviances grand guignolesques ? Comme je n’ai pas l’ami Buddy sous la main, je vais me charger de critiquer ce dernier Dirty Harry de sinistre mémoire, auquel j’avais su échapper jusqu’à la nuit dernière.

    Pour Eastwood comme pour Callahan, cette cible, même si c’était belle et bien la dernière, était le coup de trop ; il oscille péniblement entre paresse et grand-guignol, avec quand même deux perles, deux moments over the top que même le bus blindé du final de L'épreuve de force (dont on avait parlé il y a quelques semaines) n’arrive pas à devancer : une course-poursuite rendant "hommage" à Bullitt (Peter Yates, 1969) entre la voiture de Harry et une ... voiture télécommandée (au passage, faudrait que Buddy m’explique comment ce jouet peut rivaliser avec la conduite sportive de l’inspecteur) et un harponnage en règle du méchant tueur de l’histoire. Deux grands moments de rigolade si on est très bon public et si l’on oublie qu’on regarde Clint Eastwood, alias le dernier des grands acteurs et réalisateurs de sa génération.

    Le centre nerveux de l’histoire se la joue mise en abîme, avec Peter Swan, un réalisateur de film d’horreur et autres clips de hard-rock (interprété par Liam Neeson, qui décidément a touché à tout dans les années 80, entre le grand film d’aventure avec Mission (Roland Joffé, 1986), la fantasy avec Excalibur (John Boorman, 1981), le pionnier des films de super-héros actuels avec Darkman (Sam Raimi, 1990), le film de pirates avec Le Bounty). Van Horn pousse le vice à faire de La dernière cible un film de Peter Swan, plongeant ainsi dans le n’importe quoi le plus permissif ; oser reprendre le générique de Sudden Impact, alias Le retour de l'inspecteur Harry, c’est déjà un signe, mais calquer toute une scène (dialogues compris) sur un autre épisode de la série, c’est le summum : Harry a un nouvel équipier et il lui ressort la même rengaine : "mes équipier finissent soit blessés, soit morts, alors est-ce que ça te va ?" (phénomène qui va effectivement se vérifier). De plus, ce nouvel équipier est un expert en arts martiaux, ce qui nous donne droit à de graciles jeux de pieds qu’on pourrait croire sorti d’un Karaté Kid.

    Croiser au détour d’une scène un Jim Carrey fou furieux hurlant dans des éclairages fluo rappelant un clip de Cure (ou des Inconnus, je ne sais plus) résume bien ce qu’on peut penser du résultat : une catastrophe ou une bonne bidonnade. Ce bon vieux Callahan a perdu de sa superbe et c’est peu de le dire, balançant comme un automate ses expressions favorites, Swell (Magnifique !) en première ligne, ou sortant son colt à tout bout de champs : tout cela est un brin répétitif. Ajoutez à cela une charge contre l’invasion des médias dans la vie quotidienne aussi fine qu’un combat de catch entre deux beuglants décérébrés,  et le tableau est à peu près complet. On me dira, attaquer La dernière cible sur son échec artistique, c’est enfoncer des portes ouvertes : c’est vrai, mais ça défoule et c’est proportionnel à la déception d’un dernier épisode qui aurait dû être un chant du cygne en bon et due forme ! Alors, so long Harry !

  • Un film, une séquence : Batman (1989)

    3063904038_955ebcbec5.jpg?v=0

    Un film de Tim Burton

    Du séminal Batman cinématographique, je retiendrais une séquence jouissive au centre du film et de son sens, à savoir la tentative de séduction toute particulière du Joker envers Vicky Vale (Kim Basinger). On peut diviser cette séquence (à partir du moment où le Joker entre en scène) en deux parties : d'abord la danse du Joker, et ensuite son tête-à-tête avec Vicky.
    3063065125_0fc9273965.jpg?v=0

    Se faisant passer pour Bruce Wayne, l’homme au sourire démoniaque invite la jeune femme à dîner au Musée. Avant même son arrivée, le Joker se pose en artiste - metteur en scène - chef d’orchestre - scénographe de la situation. Il endort toutes les personnes présentes au sein de l’espace -sauf Vicky à qui il a pris le soin de transmettre un masque à oxygène. Entrant dans cette mer de personnages inanimés, il donne le ton : à la musique classique qui baignait le Musée quelques minutes auparavant se substitue le Partyman rn’b/pop de Prince. Affublé d'un béret, couvre-chef cliché des artistes-peintres, le Joker va se livrer à une danse endiablée, accompagné de ses acolytes. On assiste là à une entreprise de destruction/reconstruction de l’espace, en tous les cas à la défiguration des œuvres d’art. Certaines sculptures sont juste détruites, mais d'autres œuvres sont ré-interprétées à la façon du Pop-Art (les acolytes du Joker constituent ainsi sa propre Factory) : bustes peints aux couleurs caractéristiques du Joker, empreintes de mains sur un tableau, symbole dollar taggé sur un autre (re-création à partir d’une association d'idées sympathique, Joker voyant un portrait de George Washington, ordonnant "figure de billet de banque !"; quelques instants plus tôt, il avait décidé qu'Abraham Lincoln soit rasé de près), et des sauts de peintures entiers jetés sur certains autres, dans une suite de points de synchronisation image/musique comme les aime Burton (on y a notamment droit dans le générique de Edward aux mains d’argent et dans L’étrange noël de Monsieur Jack même si ce dernier film n'est pas à proprement parler une de ses réalisations), rythmant et dynamisant cette défiguration.

    3063904100_f512c68784.jpg?v=0

    Rencontre entre la peinture, le tag (Joker was here!) et la destruction d'œuvres, cette véritable performance montre que le Joker n’aime pas les œuvres exposées, et qu'il a la liberté de tout faire à son goût. On a tout de même droit à l'exception qui confirme la règle, le dernier tableau, le plus sombre et le plus étrange, ayant les faveurs du Joker, étant épargné. Ce dernier choix, parlant à son esprit dérangé en reflétant son chaos mental et physique, est finalement assez logique.

    Deuxième partie, la rencontre puis le tête-à-tête avec Vicky. Changement d'ambiance, changement de fond sonore : les rythmes rapides de Prince laissent brutalement la place à une symphonie douce mais complètement cheap qui rappelle les bonnes vieilles musiques d'ascenseur ; de même, les sbires installent des bougies, dans un style qui se voudrait romantique mais qui n'est que ridicule. Ainsi le Joker réorganise, modelant l'espace et le son. Depuis le début de la séquence, on nous donne à voir un discours sans équivoque sur l'art, conchiant les beautés  classiques révérées par l'école critique. En examinant les photos de Vicky, Joker s'arrête sur les images noir et blanc d’un cadavre et dit ainsi : "je ne sais pas si c’est de l’art, mais  j’adore". Quelques secondes plus tard, il remet ça en déclarant à Vicky "Vous savez comment les gens sont, cela est attrayant, cela ne l'est pas : et bien j'ai balayé tout ça". Ce n'est qu'à ce moment-là qu'on comprend finalement la motivation du Joker, la généralisation de la défiguration, afin que tout soit à son image, d'une disproportion caricaturale, fer de lance d’une "nouvelle esthétique" dont il veut faire de Vicky sa collaboratrice attitrée.

    3063904156_01d3f96026.jpg?v=0

    En grand malade qu'il est lui-même, Jack Nicholson donne dans l’exagération et crée un personnage bigger than life qui existe bien plus qu'un Bruce Wayne ; cette séquence nous fait donc également comprendre le déséquilibre conscient dans les films de Burton sur la chauve-souris, favorisant les bad guys au gentil (mais torturé) milliardaire Bruce Wayne.

  • Le retour de l'inspecteur Harry (1983)

    3058612330_fcf28ff1a8.jpg?v=0

    Un film de Clint Eastwood

    Ce quatrième épisode de la saga inspecteur Harry est celui des changements nécessaires, après un The enforcer (L'inspecteur ne renonce jamais) mou du genou et tirant vers la comédie, Eastwood ayant une partenaire féminine rigolote et un peu gauche (Tyne Daly).

    Le retour de l'inspecteur Harry, c’est d’abord l'arrivée derrière la caméra d'Eastwood lui-même qui, 12 ans après ces premiers pas de réalisateur dans le premier Harry, décide de prendre les choses en mains. On retrouve ces plans d'hélicoptère filmés près de la côte qui faisait la beauté ténébreuse de son premier long-métrage, Play Misty for me (Un frisson dans la nuit). Eastwood est véritablement attaché au personnage de Harry, qui vraisemblablement a évolué en même temps que lui. Ainsi, tout en retrouvant certains acteurs avec qui il a déjà tourné par le passé (Sondra Locke et Pat Hingle dans L’épreuve de force, Harry Guardino déjà dans la série des Harry), son inspecteur Harry change. Confronté à une meurtrière en série (dont le visage nous est dévoilé dès la première séquence), il questionne ses propres valeurs. Le film est d’ailleurs moins sur l’inspecteur que sur le personnage complexe de Jennifer Spencer (Sondra Locke), qui dans la grande tradition du rape n' revenge (viol puis vengeance), va exécuter un par un ceux qui ont violenté sa sœur et elle. Les mâles vont perdre ainsi leurs attributs virils, dans la soif de vengeance exprimée avec toujours autant de hargne par l’actrice. Cette dernière incarne une artiste aux peintures torturées, expressions de ses blessures intérieures. Le film questionne donc la problématique de la violence et du meurtre, dans une acception plus complexe qu’auparavant. Jennifer et Harry, dès leur première rencontre, sont représentés comme des êtres assez semblables, les paroles d’Harry correspondant à la vision de la vie de Jennifer ; Harry comprend petit à petit l’optique de la jeune femme. C’est néanmoins une criminelle, et la limite entre les deux ici est floue, thématique qu’utilisera  Tightrope (La corde raide), réalisé par Richard Tuggle l’année suivante, toujours avec Eastwood. L’affiche de ce film, évocatrice, titrait fièrement Flic ou violeur ?, respectant bien la lignée initiée par la série des Harry où la seule différence entre les criminel et l'inspecteur, c’était qu’Harry avait un badge de police.

    On retrouve dans Le retour... l'inspecteur tête brûlée des débuts (une des premières scènes du film, où Harry se rend nonchalamment dans un café, théâtre d’un hold-up, fait écho à une scène analogue dans le premier épisode de la série lorsque Harry mange un sandwich juste en face d'une banque elle aussi en train d'être dévalisée), le côté fétichiste des armes à feu (attention à sa nouvelle arme, un véritable monstre), et donc son rôle de  pistolero moderne qui appartiendrait à l'époque passée où l'on appliquait la justice en faisant parler la poudre. Harry n'est d'ailleurs à 100% lui-même que lorsqu’il sort son arme (et il la sort souvent), lui qui, alors qu'il est mis à pied par ses supérieurs, passe son après midi au soleil à s'entraîner... au tir.

    Une fois encore, la série des Harry s’inspire des meurtriers en série (le premier épisode décalquant consciemment son modèle sur le véritable Zodiaque, qui avait terrorisé San Francisco dans les années 70) et constitue une évolution du film noir, avec ces atmosphères nocturnes et urbaines, cette odeur de crime omniprésente qui jaillit à chaque coin de rue, et un personnage central solitaire, à cheval entre la justice et l'illégalité. A ce titre, la saga inspecteur Harry reste inégalée par la présence solaire de Clint Eastwood, dont le visage crispé est telle une cartographie mouvante des canyons du Far West : dans un monde mis sans dessus-dessous par le crime, sa conception individuelle de la justice ne s’embarrasse pas de détails.

  • Mission (1986)

    Un film de Roland Joffé

    Mission a fait couler beaucoup d'encre à sa sortie en 1986. Palme d’or controversée à Cannes et Oscar de la meilleur photo, le film de Roland Joffé était attendu après le très bon La déchirure, qu'il avait réalisé deux ans plus tôt. Cette histoire véridique d'une mission d’évangélisation sur le territoire des indiens Guarani reste toujours aujourd’hui un film d’une puissance rare, par la beauté des images, la grâce divine de la musique d'Ennio Morricone et un très bon duo d’acteurs aux personnalités antagonistes, Jeremy Irons - frère Gabriel, prêtre jésuite, et Robert De Niro - Rodrigo Mendoza,  ancien marchand d’esclaves cherchant sa rédemption dans la religion. Il est intéressant de considérer La Mission du titre comme polysémique, pouvant illustrer mission évangéliste envers les indiens, mission du jésuite pour sauver l'âme de Mendoza, et enfin mission de Mendoza pour mener à bien son dernier combat : tout est mission.

    La lutte entre deux conceptions du monde est le centre vital du film, opposant nature et civilisation, nature et religion. Pendant un temps, la fusion opère d'ailleurs plutôt bien, dans un endroit qu’on croirait sorti d'un livre d’images, et qui s'impose comme un paradis terrestre. Mais l'évangélisation n’est pas le seul but des pays dits civilisés, il s'agit aussi de partager les terres entre espagnols et portugais. Dès lors, les autochtones seront chassés de leur terre, une terre certainement trop belle pour eux de l'avis des ecclésiastes et des politiques. Cependant on pressentait depuis le début que de cette invasion, de cette lutte entre des éléments antagonistes, toutes les forces en présence y perdraient beaucoup. On pourrait ici rapprocher cette impossibilité de nature avec le propos du Narcisse Noir, grand film anglais du duo Powell-Pressburger, les deux œuvres se clôturant par le même constat d’échec. L'extrême cruauté (quoi de pire que l’indifférence au sort d’autrui ?) côtoie donc la plus grande beauté, chaque plan alignant certaines des images les plus splendides jamais vues sur un écran. Le coup de génie du film est sûrement dans le choix du lieu de tournage, les chutes d'Iguaçu, encastrées entre le Brésil et l’Argentine ; somptueuses, quasiment surréelles, elles sont magnifiées par l’art du chef-opérateur Chris Menges. La forêt, envahissante, et les chutes d’eaux, au vacarme tonitruant semblant venir des temps les plus reculés, semblent avoir raison de l’ambition des hommes à les conquérir.  Et la musique de Morricone, entre envolées aux accents religieux et mélodies indiennes, de souligner toute la douloureuse beauté d’un film qui constitue, à n'en point douter, une grande réussite.