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Ciné d'Asie : Vengeance (1970)

Un film de Chang Cheh

4699903745_a93d1a8277_m.jpgPrécédant de deux années Le justicier de Shanghai, Vengeance met en avant un David Chiang transpirant le charisme par tous ses pores. A-t-on jamais vu, dans le cinéma de Hong-Kong, pareille classe s’imposer à l’écran ? Le cinéaste, très inspiré par les figures hollywoodiennes torturées et charismatiques en diable de James Dean et Marlon Brando, façonne le personnage de Hsia Lo Kuan de la même façon. Il sourit rarement, offrant un visage mutique, hantant les lieux pour mener une vendetta sans merci contre les meurtriers de son frère. Méthodique, froid, il va œuvrer pour la perte de ces assassins.

Un opéra sert de lien entre les deux personnages de Ti Lung (le frère assassiné) et David Chiang : ils sont acteurs et jouent dans les mêmes spectacles, le film étant ponctué de scènes sublimes tournées au ralenti, dont les plans fixes clashent avec les mouvements heurtés des combats auquel se livre David Chiang, véritable ange vengeur. Le théâtre donne une tonalité dramatique qui ne s’éloigne pas tant que cela des tragédies grecques. Les affaires qui se jouent ont tout de l’intrigue politique et des jeux d’influence, qui voueront tout ce petit monde à la mort. Auparavant metteur en scène de théâtre, Chang Cheh s’est servi ici de son bagage technique et nous offre un de ses films les plus personnels.

Ti Lung et David Chiang constituent le duo qui prévaut souvent dans les films de Chang Cheh (La Rage du Tigre, 1971, Le sabreur solitaire, 1969) : deux figures photogéniques, qui promeuvent l’idéal d’une amitié entre hommes où la femme n’a pas sa place. L’attention du réalisateur, tout entière dévoué au personnage sombre de David Chiang, traite le personnage comme une figure démiurgique qui prend la place de la justice. Les habits de Chiang le placent déjà bien au-dessus des autres, toujours sans une tâche, de plus toujours coiffé au millimètre ; il inspire le respect.

Se déroulant dans les années 20, le film offre un tableau d’une rare violence (le meurtre de Ti Lung, cruel au possible, le spectateur étant pris comme le personnage d’un tangible sentiment d’incompréhension, de rare et d’injustice), qui s’oppose avec la beauté des cadres et des personnages. Bâti sur une succession d’oppositions, rythmiques, sonores et d’état (stabilité versus mouvement, bruit versus silence, beauté versus horreur), le film vise une dramatisation des événements à l’extrême, attisant constamment l'attention du spectateur. Les débordements gore, nombreux et marquants, font des personnages des suppliciés victimes d'une brutalité que tout condamne. La portée de l'acte de justice de David Chiang n'en a que plus de poids.

Le retour constant aux scènes d’opéra offre une lecture parallèle des actions, celles répétées de l’opéra se reproduisant avec un mimétisme troublant dans la réalité du film. Mise en abîme du métier d’acteur, les personnages ont maintes fois joué leur mort pour n’être finalement plus tout à fait vivant. Et, quand leur mort "réelle" survient, elle paraît d’ailleurs moins les affecter que leur mort jouée ; en témoigne l’ultime sursaut de David Chiang pour porter un coup fatal au dernier instigateur du complot encore en vie. Véritable réflexion sur les modes de représentation du réel, Vengeance donne à voir un spectacle profond et tragique, digne héritier des tragédies grecques.

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Commentaires

  • Cette très belle évocation de ce film que certains tiennent pour le sommet du cinéma de Chang Cheh me convainc : il faut que je me décide à le voir. Je me demande si, question débordements de violence graphique, ça sera au niveau des "Les 13 Fils du dragon d'or" qui est assez gratiné.

  • Bonjour Vincent. Vengeance m'a, quoi qu'il en soit, réconcilié avec Chang Cheh. Son usage de la violence graphique à outrance m'avait toujours semblé peu justifié et grand-guignolesque ; ici, elle l'est toujours mais je ne sais pas... c'est dramatiquement mieux amené. On a quand même son habituel "hache plantée dans le ventre" qui n'empêche pas le combattant de mettre une raclée à toute une bande. Quant aux 13 fils du Dragon d'or, je te le donne en mille : c'est le prochain sur ma pile, avec Buddha's Palm (qui a l'air assez "exceptionnel"), Les 12 médaillons d'or -pas de Chang Cheh donc- et quelques Chu Yuan.

  • C'est du grand spectacle, un peu touffu, mais avec deux ou trois scènes particulièrement graphiques, bien dans l'esprit de Cheh, toujours cette vision sado-masochiste des héros. Ceci dit, de ce que je connais de lui, mon préféré reste 'Le retour de l'hirondelle d'or" avec un Wang Yu aussi jusqu'au-boutiste que le David Chiang de "La rage du tigre". J'aime assez le premier volet de la sage du sabreur manchot, assez surprenant parce pas si violent que ça.
    Sur ma pile, le prochain, c'est "Have sword, will travel" sont j'ai lu beaucoup de bien.

  • Ha oui, alias Le sabreur solitaire pour sa sortie DVD en France (je crois qu'il n'est jamais sorti en salles par chez nous) ! Eh bien, ce sera ni plu ni moins que le prochain arrêt de la série Ciné d'Asie sur ce blog, film vu il y a quelques jours : très bon, avec le même triangle amoureux (David Chiang - Ti Lung - Li Ching) que plus tard, dans La rage du tigre...

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