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Un film, une séquence

  • Un film, une séquence (2/2) : Superman, le film (1978)

    Suite de la première partie de l'analyse de séquence consacrée à Superman, le film.

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    Un être hors du commun

    La séquence permet en outre de caractériser le personnage de Superman de façon extrêmement précise : outre ses différents pouvoirs (vision aux rayons X, force et résistance surhumaine, pouvoir de voler), elle nous expose clairement le concept du personnage : "Je combats pour la vérité, la justice et l'idéal américain" ; positionnement qui, s'il est objectivement louable, n'en est pas moins très naïf ; Donner désamorce alors immédiatement cette réaction attendue du public par la réplique de Loïs, qui lui rit au nez en lui assénant "Vous allez devoir combattre tous les élus du pays", parant la naïveté christique du personnage par l'ironie de Loïs. Peu après, Superman énoncera une autre part de sa personnalité : "Je ne mens jamais". Ces idéaux inaltérables, paraissant soit dépassés, soit inabordables pour le commun des mortels, font de Kal-El un être hors du commun s'élevant déjà plus haut qu'un homme ordinaire ; allié aux pouvoirs de l'extra-terrestre, cela fait de lui un dieu, une analogie qui parcourt tout le film.

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    Après ces préliminaires, l'homme d'acier prend les choses en mains : il invite Loïs à (sortir) voler en sa compagnie, en convoquant encore une fois un prétexte : calculer sa vitesse. A l'inverse de Clark Kent, tout en timidité maladive, Superman prend l'initiative et emmène Loïs faire un tour dans le ciel. Après un survol des buildings, ils passent non loin de la statue de la Liberté, érigeant matériellement un des idéaux ardemment défendus par le Kryptonien. Dans un deuxième mouvement de ballade en vol, Loïs pense ; et nous l'entendons. Sa question, c'est Est-ce que Superman l'entend, lui ? A-t-il aussi ce pouvoir ? Si la réponse apparaît négative, les pensées de Loïs n'en sont pas moins évidente quand au désir qui l'étreint. "Sais-tu ce que tu éveilles en moi ? Peux-tu voir les images qui m'assaillent ?". Ce vol planant avec un dieu lui donne des ailes, littéralement : grâce aux pouvoirs de Superman, elle a également la sensation de voler, une métaphore classique mais très poétique (tout comme ses pensées, déclamées en vers, avec la répétition langoureuse "Do you read my mind ?") du sentiment amoureux. 

    Ce vol peut, au final, être interprété comme métaphore d'une folle nuit d'amour, ce que Loïs fera dire à son article en termes tout sauf ambiguës : la titre du Daily Planet du lendemain est "Ma nuit avec Superman" !

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    Une fois revenue les pieds sur Terre -le chronométrage totalement oublié-, elle lui donnera son nom, après s'être exclamé "What a super man!", répondant en écho à la demande de Perry White de trouver un nom à ce nouveau justicier. La séquence, tout en donnant des informations capitales sur le personnage pour le reste du film, est une ballade romantique et coquine extraordinairement écrite. L'épilogue, particulièrement savoureux, voit Clark sonner à la porte de Loïs, puis lui disant : "Vous vous rappelez ? Nous avions rendez-vous", confortant l'idée que c'est bien lui qui a fait la proposition à Loïs. Content de la voir désorientée, il serait prêt à lui révéler son identité secrète, pourtant formellement interdit par son père. 

    La conception du personnage de Clark Kent / Superman est telle dans ce premier film que Clark Kent est le déguisement de Kal-El, et Superman sa véritable personnalité. Pour faire Kent, il se tient voûté, prend une voix hésitante, un ton haut placé et multiplie les tics de stress (le doigt qui remonte constamment ses lunettes) ; en outre, ses cheveux sont tellement gominés qu'on dirait une perruque ; un vrai déguisement. Son air livide est certainement du à un fond de teint blanc, alors que Superman a le teint hâlé.

    Donner montre alors le personnage de Kal-El sous un jour très humain, cédant facilement à ses sentiments. S'il ne désobéit finalement pas dans l'instant  à ce commandement (ce sera pour le deuxième épisode), il va influer sur le cours de l’existence des humains alors que, de la même façon, son père lui avait interdit. Et, à chaque fois, le moteur de ses intervention sera Loïs... Superman, un justicier par amour ?

  • Un film, une séquence (1/2) : Superman, le film (1978)

    Le premier rendez-vous de Superman

    "Do you like pink ?"
    Loïs Lane à Superman 

    7840419906_4e1089471b_m.jpgSuperman, le film, réalisé par Richard Donner (La malédiction, 1976, Les Goonies, 1986) est fondateur de l'imagerie des super-héros au cinéma, tout autant de leur psychologie. C'est ce second aspect qui est privilégié dans la séquence du jour, habilement amené par un subtil dialogue entre l'homme d'acier (Christopher Reeve) et Loïs Lane (Margot Kidder) lors de leur premier rendez-vous. En amorce de la séquence, Lane, au Daily Planet, reçoit un message : "Rendez-vous chez vous, à 8h - un ami". Le spectateur, comme Loïs Lane, pense que cet ami est l'homme de Krypton, qui s'est désigné sous ce nom lors de sa première apparition publique. On verra plus tard que c'est en fait Clark Kent qui lui a adressé ce message, réaffirmant du même coup, que Kent et Kal-El ne sont que les deux faces d'une même pièce. La scène du rendez-vous nocturne de Kal-El et Loïs Lane est d'une importance capitale dans le film, montrant l'attirance réciproque des deux personnages, établissant la thématique de la dualité, présentant les pouvoirs principaux de l'homme d'acier, le tout traité sous la forme parfaite d'une rencontre romantique aux dialogues à double-sens particulièrement savoureux.

    Prétexte et double-sens

    Le mot introductif présente la scène comme un rendez-vous galant, ce que l'attitude de Loïs atteste dès le premier plan : elle attends avec une certaine impatience (il est déjà 8h05!) la venue de celui qui l'a tellement impressionnée la nuit précédente -il l'az sauvée d'une mort certaine-. Empiétant sur l'image de Loïs, retentit une sonnerie (c'est le téléphone du bureau de Perry White, rédacteur en chef du Daily Planet qu'on a vu lors de la précédente séquence), indiquant en filigrane l'attente insoutenable, le stress généré par ce premier rendez-vous avec le surhomme : l'heure a sonné ! Les yeux de Loïs, déjà embrumés avant même l'arrivée du futur Superman, en dit déjà beaucoup ; sa robe de soirée ensuite, presque autant que le cri de surprise à sa venue, sorti de la gorge de Loïs comme un cri de jouissance extatique, donne le ton. Kal-El, arrivant en volant sur son balcon, feint d'abord l'arrivée par à l'improviste, "Vous aviez quelque chose de prévu ? Je peux revenir plus tard...", puis utilise un prétexte pour justifier sa venue : "Désolé de vous déranger, mais on doit se poser beaucoup de questions à mon sujet." Comme tout être humain, il use de ficelles connues pour justifier sa venue, ficelles qu'il aura apprises avec les cristaux transmis par son père, ceux-là même qui contiennent toute la connaissance du monde. Bref, il ne s'agit donc pas officiellement d'un rendez-vous, mais d'une interview ! Et nous allons avoir une démonstration éclatante du professionnalisme de Loïs Lane dans cet exercice. Alors qu'ils s'assoient pour commencer, l'homme d'acier recule galamment la chaise de Loïs pour lui permettre de prendre place plus confortablement. Les deux personnages ne font déjà plus mystère du fait que, sous la version officielle de l'interview, se cache en réalité un rendez-vous tout ce qu'il y a de plus concret.

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    La séquence offre dès lors un jeu jouissif entre l'interview, et le professionnalisme de la retranscription des faits qu'il requiert, et la décontraction ("C'est sympa chez vous", glisse Superman), la légèreté romantique de la découverte mutuelle des deux personnages. Ainsi, Loïs débute l'entretien en remplissant la fiche d'identité de Kal-El ; lui demandant s'il est marié, a une petite amie, des "informations vitales", on en est conscient, pour tout lecteur lambda du Daily Planet ! Les réponses de l'homme d'acier ne sont pas exemptes de sous-entendus : alors que Loïs le questionne sur son âge, il réponds "plus que 21 ans", soit l'âge de la majorité aux Etats-Unis, où un individu est responsable de ses actes et libre de tout faire, y compris entretenir une relations intime avec une autre personne consentante. L'intervieweuse continue dans la voie d'une grivoiserie insoupçonnée en osant un "How big are you" (question pouvant tout à fait se rapporter à la taille du membre viril de son super-homme), qu'elle ravale comme un lapsus en rectifiant par un plus sage "How tall are you", quelle taille faites-vous). Les réponses du surhomme, annonçant des proportions tout bonnement épiques, n'ont de cesse de titiller la curiosité de la dame vers une investigation plus poussée, qui lui fera notamment dire "J'imagine donc que le reste de vos fonctions corporelles sont normales... en termes plus délicats... Est-ce vous... -puis s'arrêtant devant une proposition trop osée- mangez ?". La compatibilité sexuelle des deux tourtereaux semble acquise, et leur désirs concordant, dans une joute verbale qui a des airs de danse pré-nuptiale.

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    Le jeu continue, suivant le fil des questions (impertinentes) de Miss Lane. Ainsi, pour avoir la preuve que notre homme en bleu et rouge voit à travers n'importe quelle élément physique, elle lui demande simplement de décrire la couleur de ses sous-vêtements ! La séquence s'équilibre donc constamment entre la description des pouvoirs du surhomme -ici, on apprend que seul le plomb peut brouiller sa super-vision, Loïs se tenant à cet instant devant un pot de fleurs constitué du fameux métal-, et la romance naissante entre les deux personnages, parfaitement synthétisées par un dialogue digne des meilleures comédie à l'américaine de l'âge d'or. La mise en scène laisse s'exprimer en gros plans les deux acteurs, dont les expressions pleines d'espièglerie enfantine, et de gêne devant la découverte de leurs sentiments ne font aucun mystère de leurs intentions respectives. Les arrières-plans, uniquement composés de transparences ne cachant rien de leur artificialité, confèrent à la scène des allures de rêveries, encore renforcées dans la partie du vol, et par la photo volontairement floutée de Geoffrey Unsworth qui nimbe tout le film. En point d'orgue de cette fabuleuse entrevue pleine de sous-entendus, Lane lancera, au beau milieu d'un épellation du mot Krypton, un simple "Do you like pink ?" - la couleur de ses sous-vêtements, donc-, qui contient  toutes les autres questions importantes qu'on se pose lors d'une rencontre.

    La suite

  • Un film, une séquence (2/2) : V pour Vendetta (2006)

    Suite de la précédente note sur l'analyse de séquence de V pour Vendetta :

    Finch voit également d'autres choses, dont le spectateur n'a pas été le témoin : le présentateur télé, décédé entre-temps, brûle l'autorisation de diffusion de son show satirique. Ainsi, la séquence est également utilisée pour "caser" très brièvement des éléments qui n'ont pas pu être placés plus tôt dans le déroulé du film. La séquence nous a montré dès le début que "le grand architecte" était V, positionnant consciencieusement chacun de ses dominos-personnages pour qu'ils fassent ce que V attende d'eux. Finch, avec cette vision, épouse alors celle de V, dans toute sa dimension démiurgique.

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    Finch s'est manifestement connecté avec l'esprit de V, lors de sa première vision d'un chaîne d'événements, se recomposant dans un ensemble cohérent. A l'écran, les connexions sont évidentes thématiquement (les images reconstituent le film dans une myriades de scènes passées et à venir), et graphiquement : elles donnent à voir des éléments au motif récurrent : le V, synonyme du personnage et de son plan, qui s'imprime jusque dans le paysage (un feu d'artifice, une porte de cellule, Evey et V les bras levés vers le ciel, les voies de chemins de fers). Finch a la sensation de tout voir, partout, en même temps : vision totale à l'égale d'un dieu. On retrouve cette notion chère à Alan Moore, créateur de la BD originelle, dans le personnage du Docteur Manhattan, figure éthérée de l'immense Watchmen, qui a également la perception totale du spectre des événements.

    Après une courte pause dans le déroulement effréné des événements, figurée par la question de l'assistant ("Alors vous savez ce qui va se passer ?"), Finch va ensuite décrire une nouvelle prophétie, une "intuition", qui prend une place assez exceptionnelle dans la trame de V pour Vendetta. En effet, le film (et la BD avant ça) nous plonge dans un monde distopique tout ce qu'il y a de plus pessimiste : censure, arrestations arbitraire sans procès, meurtres d'état, uppercuts d'interdits et de peurs assénés à un peuple groggy. De même que V (Hugo Weaving) devient la cible de ce que le comédien incarnait dans Matrix (l'agent Smith), il est amusant de noter que c'est John Hurt, victime du diktat de Big Brother dans l'adaptation de 1984 (Michael Radford), qui joue ici le rôle du grand oppresseur Sutler.

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    L'inspecteur imagine alors un avenir potentiel encore plus sombre. Le spectateur découvre alors des images inédites, une réaction en chaîne provoquée par dérapage -le meurtre d'une enfant portant le masque de la révolution. Les dominos, dont la mise en place est terminée, peuvent tomber. Ce que l'on voit à présent révèle un tout autre schéma de vision, faisant écho aux convictions profondes de Finch, et à la logique du terrorisme. Loin de la figure quasi-héroïque de V que le film nous a vendu jusqu'ici, on découvre le côté sombre de V. La scène des dominos recèle ainsi d'un double-sens : on peut y voir soit la visualisation de la parfaite exécution de son plan et y percevoir une certaine fierté ; ou l'on peut également ressentir la dimension manipulatrice de ces pions, soignement positionnés, qui tombent lorsque V en donne l'impulsion. Alors que le sentiment de Finch penche pour la seconde option, le spectateur lui, est comme galvanisé par l'énergie déployé et la puissance de la construction cinématographique, est plus du côté de V. C'est toute l’ambiguïté du film : prendre pour personnage principal un terroriste et le faire passer pour un super-héros. C'est d'ailleurs pour cela que le film, produit par Warner, une des plus grandes Majors, a une vraie force subversive, toujours celle de l'anomalie dans le système. Un seul domino encore debout, ce sera par cette figure que se clôture la séquence, bouclant avec son début, lorsque V dépose le premier domino. On fait ainsi le tour en moins de 5 minute, d'une perception totale de l'univers de du film, dans sa terrifiante dimension distopique. Si V pour Vendetta, la BD, est un monument, son adaptation également est des plus réussie.

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  • Un film, une séquence (1/2) : V pour Vendetta (2006)

    La révélation de Finch

    "Tout défilait devant mes yeux... une longue suite
    d'événements qui m'a projetée dans le passé... bien avant Larkhill.
    C'était comme si je pouvais voir tout ce qui s'était
    déjà passé... et tout ce qui allait bientôt se passer."

    Inspecteur Finch 

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    La grande réussite de V pour Vendetta (BD comme film) est de jouer avec la temporalité de la narration, multipliant les allers-retours dans le temps et les sous-intrigues ; le film débute par l'exécution de Guy Fawkes, révolutionnaire anglais qui manqua son attentat contre le Parlement de Londres en 1605. Le spectateur découvre ensuite les incidents qui ont frappés l'Angleterre quelques années auparavant, et le sacre du dictateur Sutler (John Hurt). Puis, dans un futur proche, V (Hugo Weaving), un être mystérieux affublé d'un costume de Guy Fawkes, entend faire renaître l'idée de la révolution. Il veut rappeler aux anglais les conditions étranges qui ont présidé à l'élection d'Adam Sutler à la tête du pays, devenu alors un Grand Chancelier tout-puissant. 

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    La séquence qui nous intéresse se situe au début du dernier acte du film ; elle dure 4 minutes, de 1h40' à 1h44', et contient pas moins de 150 plans -soit un tous les 80 centièmes de secondes ! Elle commence par la pose d'un domino par une main toute de noir gantée, celle de V. Presque un an s'est écoulé depuis que V a commis son attentat, la destruction du Palais de Justice Old Bailey ; à son appel, cette date anniversaire doit voir les citoyens se rassembler devant le Parlement. Après une longue enquête, l'inspecteur Finch et son assistant sont dans l'impasse, et V pose la dernière pierre de son plan.

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    L'objectif principal de la séquence est de montrer toute l'ampleur des actes de V ; il distribue à la population de Londres des costumes de Guy Fawkes (dans un des nombreux jeux de miroir du film, ici entretenu avec une première action au début du film). Des trains entiers acheminent la marchandise vers des "centaines de milliers" de foyers. V est le maître d’œuvre d'un plan global dont lui seul a la clé. Débute alors un montage particulièrement astucieux, qui accélère de façon brusque et virtuose le rythme du film. Un plan est souvent complété par un autre, dans une situation différente : alors qu'une fille va ouvrir après une sonnette à sa porte, c'est Finch que l'on voit ouvrir au transporteur. Plus loin, c'est un vandale, criant "Anarchy in the UK !", qui finit la phrase de Finch, "That's what he wants" ("C'est précisément ce [que V] veut").

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    En quelques secondes, plusieurs jours s'écoulent, mettant en regard Finch et l'assistant d'un côté, et les rues agitées de Londres, de l'autre. A un autre moment, "[V] nous connaît mieux qu'on ne se connaît nous-même" résonne sur les images montrant le premier ministre Creedy acceptant le pacte de V ; ce dernier ayant effectivement pressenti que Creedy accepterait son marché. Les paroles sont parfois en avance sur l'image, résonnant avant même que son orateur ne se montre (comme quand Sutler menace de faire arrêter "tous ceux qui portent un masque", la potentielle victime et son bourreau virtuellement présentés dans le même espace-temps). Les points de vues, déjà, sont multiples ; la temporalité, elle, est respectée, les événements s'enchaînant logiquement et implacablement, dans le grand plan d'ensemble de V, figuré par la construction minutieuse d'un parterre de dominos, la pose de chaque nouvelle pièce scandant la séquence, comme dans la BD. La cadence régulière d'un mécanisme d'horlogerie tapisse le paysage sonore de la séquence, participant ainsi à conférer au plan de V une nature pensée, programmée et inarrêtable.

    Puis, Finch raconte à son assistant sa virée nocturne au complexe médical abandonné de Larkhill, qui constitue le cœur de cette séquence extrêmement complexe. 

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    Dans un premier mouvement, constitué d'accélérations puissantes et de temporisations, Finch décrit son sentiment : au milieu des décombres, dans la nuit, il a une révélation, au sens religieux du terme. Le temps et l'espace s'entrechoquent et se mêlent dans un maelström d'images de ce que l'on a déjà vu (l'arrestation de Guy Fawkes, le baiser échangé par deux jeunes femmes, la rose caractéristique laissée en signature des meurtres, entre autres), et d'autres qui sont inédites et prophétiques, issues de la suite du film : V pris sous le feu d'agents gouvernementaux -évoquant clairement les agents de la Matrice contre Néo, ici dans un retournement de situation qui ne manque pas d'ironie-, Finch et Evey devant le métro rempli d'explosifs, ... La vision de Finch, si elle est prophétique, est aussi omnisciente : il voit des événements auxquels il n'a pas assisté et se voit lui-même, illustrant  un point de vue global qui le dépasse.

    La suite ici

    Sources images : captures d'écran issues du DVD © Warner Bros

  • Un film, une séquence (2/2) : Brainstorm (1983)

    Suite de la chronique commencée ici

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    Au détour d'un mouvement on ne peut plus anodin, Lillian voulant se saisir de sa cigarette laissée fumante sur un cendrier, elle se se brûle le bras sur un des nombreux appareils qui envahit le cadre et fait transparaître son premier signe de douleur véritable. Cet enchaînement, signifié par des plans très brefs visualisant le choc (la brûlure au bras, le sursaut de Lillian, la radio qui tombe en morceaux),  questionnant le spectateur sur la nature même de la blessure, amène une ambiguité car ce signe de souffrance n'a pas de lien direct avec le premier "avertissement", mais contribue à la gradation des sensations de malaise ressenties par Lillian. A partir du moment où la radio tombe, toute musique s'arrête, et Lillian paraît surtout en colère pour sa maladresse, laissant retentir un "Damned!" de mécontentement. A cet instant précis, la prime douleur au cœur semble s'effacer devant la douleur plus forte de la brûlure, et la colère. Mais, au détour d'un plan encore une fois relativement banal (Lillian voulant ramasser la radio), la première douleur revient, lui irradiant le bras. L'absence de musique joue également un rôle dans cet enchaînement rapide et étrange, la menace surgissant sans avoir été annoncée, graphiquement ou musicalement, mais juste par la soudaine succession de plans brefs. 

    Avec le masque de douleur de Lillian se réveille la musique de James Horner soulignant le danger. L'air en sourdine, plutôt heureux, de l'opéra, fait ainsi place aux accents tragiques d'un ostinato, forme rythmique inlassablement répétée dans une musique d'orchestre puissante, assommant virtuellement Lillian. La musique est ici la transcription musicale de la douleur, frappant fort et par à-coups. Puis, la musique se replie au second plan, laissant Lillian, crispée et tremblante, étouffer un terrible cri de douleur. Elle comprend que c'est la fin, mais veut tout de même se battre, en même temps qu'elle saisit l'inéluctable vérité. Ces instants sont tragiques, le personnage agonisant seul, sans autres témoins que des écrans luminescents, inertes et silencieux.

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    Solitude qu'elle essaye, malgré tout, de combattre, en appelant Michael (Christopher Walken) au téléphone. Puis, se laissant gagner par l'évidence de ses sensations, elle lâche le téléphone dans un sanglot, terrifiée et souffrante. Dans ce même plan fixe, elle, si immobile, va agir. Sa dernière action, cœur d'impulsion du reste du film. Évitant, comme dans tout le film, toute facilité explicative (on ne nous dira jamais vraiment de que fait la machine, ni encore quelles applications militaires vont en être dérivées), Trumbull perd un peu spectateur, mais la fascination prime alors. Fasciné par cette séquence où la musique dirige la narration, et par la performance juste incroyable de Louise Fletcher, dont on croit toutes les souffrances, et la mort prochaine.

    Pour appuyer cette poussée énergétique, les quatre notes mineures assénées par l'orchestre reviennent. Lillian poussent les ordinateurs, se défait de la posture dont elle était prisonnière, pour choisir son dernier lieu. Une sonorité plus physique, incarnée par les trompettes qui martellent l'ostinato, se font entendre, comme matérialisant la force dont doit faire preuve Lillian. On revient, enfin, à un travelling, un cadrage en mouvement, s'opposant aux plans fixes précédents, qui montrent Lillian quitter sa chaise, descendre les quelques marches qui la séparent de l'espace d'enregistrement. Elle arrive à redevenir maître d'elle même, temporairement libérée des spasmes de l'arrêt cardiaque ; elle se serre la poitrine, la caméra pivotant pour dévoiler un nouveau siège, celui de l'expérience. Car on l'a compris depuis quelques secondes, elle décide de dédier ces derniers instants à sa technologie pour laisser un héritage, un témoignage, unique : les sensations de ses derniers instants, et de son départ. Avant cela, elle met toute la machinerie en route, toujours accompagnée par les ténébreuses notes de James Horner, auxquelles s'ajoutent une ligne mélodique inédite, comme un murmure de violons alternant deux notes lancinantes, comme prêtes à s'éteindre. 

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    Dans un plan fixe, cadrée de face, Lillian va alors sombrer, et le fond sonore qui l'accompagne n'est plus la symphonie tonitruante et répétitive de l'orchestre, mais le bruit mécanique et et tout aussi cyclique, des bobines qui enregistrent et des signaux d'ordinateurs qui crépitent. Un très gros plan de la cigarette de Lillian, qui s'est consumée entièrement et tombe, confirme la mort. Mais, pour autant, un panoramique vertical va montrer que tout n'est pas terminé.

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    Alors que le silence et l'immobilité sont les témoins habituels manifestes du décès, les machines qui ont accompagné Lillian continuent à produire un spectacle son et lumières signifiant : si elles continuent à enregistrer, c'est bien que quelque chose se passe ! Pour accompagner le mouvement (tableaux clignotants, écrans animés, cliquetis ininterrompu de la bande), l'enchaînement des plans se fait plus rapide. Et la musique de souligner à son tour se qui se produit, l'orchestre laissant sa place à des choeurs d'enfants d'inspiration ouvertement mystique. Cette vision très judéo-chrétienne de la mort (ou du chemin vers...) passe sûrement moins bien aujourd'hui, trop 1er degré. Il n'empêche, chaque élément a une véritable raison d'être dans la séquence, y compris dans ses toutes dernières secondes. Et quand, enfin, la bande elle s'arrête, Lillian va se retrouver nimbée de lumière blanche... mais c'est juste Michael qui ouvre la porte, faisant pénétrer la luminosité du dehors, pour découvrir le corps sans vie de sa partenaire. 

    Alors, tant pis si la vision finale de ce mystérieux enregistrement du voyage entre la vie et la mort décevra par son classicisme : ces seules cinq minutes terrassantes resteront dans les mémoires.

    A lire : la critique de DevilDead et la très belle chronique du score de James Horner chez Underscores.