Suite de la précédente note sur l'analyse de séquence de V pour Vendetta :
Finch voit également d'autres choses, dont le spectateur n'a pas été le témoin : le présentateur télé, décédé entre-temps, brûle l'autorisation de diffusion de son show satirique. Ainsi, la séquence est également utilisée pour "caser" très brièvement des éléments qui n'ont pas pu être placés plus tôt dans le déroulé du film. La séquence nous a montré dès le début que "le grand architecte" était V, positionnant consciencieusement chacun de ses dominos-personnages pour qu'ils fassent ce que V attende d'eux. Finch, avec cette vision, épouse alors celle de V, dans toute sa dimension démiurgique.
Finch s'est manifestement connecté avec l'esprit de V, lors de sa première vision d'un chaîne d'événements, se recomposant dans un ensemble cohérent. A l'écran, les connexions sont évidentes thématiquement (les images reconstituent le film dans une myriades de scènes passées et à venir), et graphiquement : elles donnent à voir des éléments au motif récurrent : le V, synonyme du personnage et de son plan, qui s'imprime jusque dans le paysage (un feu d'artifice, une porte de cellule, Evey et V les bras levés vers le ciel, les voies de chemins de fers). Finch a la sensation de tout voir, partout, en même temps : vision totale à l'égale d'un dieu. On retrouve cette notion chère à Alan Moore, créateur de la BD originelle, dans le personnage du Docteur Manhattan, figure éthérée de l'immense Watchmen, qui a également la perception totale du spectre des événements.
Après une courte pause dans le déroulement effréné des événements, figurée par la question de l'assistant ("Alors vous savez ce qui va se passer ?"), Finch va ensuite décrire une nouvelle prophétie, une "intuition", qui prend une place assez exceptionnelle dans la trame de V pour Vendetta. En effet, le film (et la BD avant ça) nous plonge dans un monde distopique tout ce qu'il y a de plus pessimiste : censure, arrestations arbitraire sans procès, meurtres d'état, uppercuts d'interdits et de peurs assénés à un peuple groggy. De même que V (Hugo Weaving) devient la cible de ce que le comédien incarnait dans Matrix (l'agent Smith), il est amusant de noter que c'est John Hurt, victime du diktat de Big Brother dans l'adaptation de 1984 (Michael Radford), qui joue ici le rôle du grand oppresseur Sutler.
L'inspecteur imagine alors un avenir potentiel encore plus sombre. Le spectateur découvre alors des images inédites, une réaction en chaîne provoquée par dérapage -le meurtre d'une enfant portant le masque de la révolution. Les dominos, dont la mise en place est terminée, peuvent tomber. Ce que l'on voit à présent révèle un tout autre schéma de vision, faisant écho aux convictions profondes de Finch, et à la logique du terrorisme. Loin de la figure quasi-héroïque de V que le film nous a vendu jusqu'ici, on découvre le côté sombre de V. La scène des dominos recèle ainsi d'un double-sens : on peut y voir soit la visualisation de la parfaite exécution de son plan et y percevoir une certaine fierté ; ou l'on peut également ressentir la dimension manipulatrice de ces pions, soignement positionnés, qui tombent lorsque V en donne l'impulsion. Alors que le sentiment de Finch penche pour la seconde option, le spectateur lui, est comme galvanisé par l'énergie déployé et la puissance de la construction cinématographique, est plus du côté de V. C'est toute l’ambiguïté du film : prendre pour personnage principal un terroriste et le faire passer pour un super-héros. C'est d'ailleurs pour cela que le film, produit par Warner, une des plus grandes Majors, a une vraie force subversive, toujours celle de l'anomalie dans le système. Un seul domino encore debout, ce sera par cette figure que se clôture la séquence, bouclant avec son début, lorsque V dépose le premier domino. On fait ainsi le tour en moins de 5 minute, d'une perception totale de l'univers de du film, dans sa terrifiante dimension distopique. Si V pour Vendetta, la BD, est un monument, son adaptation également est des plus réussie.