Un film de Joseph Losey
Continuons aujourd'hui l'exploration de l'excellente collection créée par Wild Side Video, qui, on le rappelle, ajoute judicieusement un livre bourré de photos et d'anecdotes de tournages au film en DVD. On pourra sans mal rapprocher cette publication de celle, antérieure, de He ran all the way (Menaces dans la nuit), sorti la même année que Le rôdeur.
Les deux films ont souffert de la chasse aux sorcières, c'est-à-dire la traque des affinités communistes chez les gens de cinéma par la HUAC (House of Un-American Activities Committee). Le plus célèbres de ceux qu'on appellera rapidement les Hollywood Ten, ceux qui furent convoqués pour balancer leur collègues, fut le scénariste Dalton Trumbo, officiellement blacklisté de toute production cinématographique. Pour autant, il ne cessera pas de travailler, enchaînant même le plus grand nombres de contrats possibles, acceptant des salaires ridicules n'ayant qu'un lointain rapport avec sa notoriété. Il n’apparaît alors pas au générique, laissant la place à des prête-noms.
D'autre part, le producteur Sam Spiegel (qui montera plus tard Sur les quais, Le Pont de la rivière Kwaï ou Lawrence d'Arabie) était à l'époque en délicatesse de paiement, avec sa société Horizon Pictures, créé avec le réalisateur et scénariste John Huston. Le producteur adopta lui aussi un faux nom transparent pour la circonstance, S.P. Eagle, et signa le film de Eagle Productions.
Le rôdeur est à l'arrivée un pur film noir, avec notamment un personnage de flic assez pervers joué avec un malin plaisir par Van Heflin. Représentant de l'autorité, il n'en est pas moins toujours sur le fil, tant il se confond avec le rôdeur du titre. La relation qu'il entretient avec Susan Gilvray, une femme mariée qui a l'air de tout faire pour le repousser, est très complexe, faite d'un mélange amour/haine qu'on peut aisément rapprocher du sado-masoschisme le plus total ; tout cela dans les limites de ce que permettait le Production Code de l'époque. Susan, le visage comme perlé de sueur, est cette femme qui "a toujours chaud". Pour sa première apparition, elle n'est vêtue que d'une serviette de bain, qu'elle conservera pendant son entretien avec deux policiers venus pister un rôdeur qu'elle avait signalée.
La subversion transpire, telles les gouttes de sueur de Susan sur son front ; Le personnage de Van Heflin s'appelle Webb (la toile), et va, telle une araignée, tisser son réseau d'influence sur elle pour parvenir à ses fins. C'est un voyeur pervers, et Susan une femme privée de sexe qui n'attend qu'une occasion pour que sa passion déborde.
Le décor alterne entre espaces clos et restreints (la salle de bains de Susan, l'appartement de Webb), puis fait exploser les limites des lieux dans la dernière partie du film, dans une ville fantôme secouée par des rafales de vents qui s'insinuent dans tous les coins. Accompagnant ce mouvement, Van Eflin devient de plus en plus incontrôlable ; si, dans une séquence de la première partie, il prend sur lui et écoute attentivement son ami collectionneur de vieilles pierres, c'est à peine s'il le reconnaîtra lorsqu'il recroisera sa route dans le dernier acte.
C'est une histoire passionnelle, une histoire de meurtre, une narration en cercles concentriques qui précipitent ses protagonistes vers une fin certaine, dans la plus grande tradition du genre : réalisée dans l'urgence et la quasi-clandestinité, Le rôdeur est un excellent film à découvrir de toute urgence.
Vous retrouverez plus d'informations dans l'excellent livre joint à l'édition DVD, Clandestine Grandeur, écrit par Eddie Muller, un spécialiste du film noir.
Commentaires
Salut Raphaël,
J'aime bien Van Heflin comme acteur. Ta note donne vraiment envie de voir ce film que je ne connais pas.
Amicalement.
Stéphane
Hello Stéphane,
Van Heflin est effectivement excellent dans Le rôdeur ; un film à voir ; de plus, si comme je le penses tu aimes les films noir, tu ne peux qu'aimer !
A bientôt,
Raphaël
Je remarque que l'on est accro à la même came :)
Cette collection est juste fantastique. Le bouquin sur Le rôdeur est d'ailleurs un des meilleurs livres de la collection, avec celui sur le premier doublé Fritz Lang (La rue rouge / La femme au portrait, pas encore mis la main sur le plus récent).