Un film de Richard Thorpe
Le réalisateur américain est principalement connu pour ses deux films de chevalerie (Ivanhoé, 1952, et Les chevaliers de la table ronde, 1953, tous deux avec Robert Taylor dans le rôle-titre) et Le prisonnier de Zenda (1952), de grandes aventures en Technicolor. Sous contrat à la MGM, il a signé un certain nombre de films de série :parmi lesquels les films de série que lui confiait la MGM : plusieurs Tarzan avec Johnny Weissmuller, un épisode du Thin Man, et finalement, deux films de la "série" Elvis, Le rock du bagne, suivi quelques années plus tard de L’Idole d’Acapulco (1963). Si tous ces travaux sont inégaux, le film qui nous intéresse aujourd’hui fait figure de bon film dans la carrière cinématographique (de qualité également variable) du King.
Le rock du bagne nous joue plus ou moins l’histoire du King, élevé dans une famille pauvre qui décide un jour de tenter sa chance et d’enregistrer une chanson dans un studio ; ce qui le propulsera au sommet, et lui attirera les faveurs d’Hollywood. Le film joue donc la carte du mélodrame sur fond de portrait relativement clément du show-business, thème que sublimera Douglas Sirk quelques années plus tard dans Mirage de la vie (1959).
Le premier ressort de l’histoire est risqué et payant, qui voit Vincent (Elvis Presley) frapper mortellement un homme dans un bar. Le personnage est nerveux, il s'emporte, ne se maîtrise pas ; même en prison, il n’hésite pas à frapper un garde. C’est "la Bête en lui qui parle", comme il le dira à Peggy (Judy Tyler, avec ses faux airs de Gene Tierney, décédée tragiquement quelques jours après la fin du tournage), dans une scène tout aussi enfiévrée. Comme Elvis, Vincent attire tous les regards dès qu’il a l’opportunité, encore en prison, de se montrer à la télévision pour chanter. Il apprend des rudiments de guitare de la part d’un ancien, mais se débarrassera bien vite de l’instrument pour laisser s’exprimer son corps, avec lequel il peut extérioriser un état de tension permanent. Il symbolise le renouveau, la fraîcheur d’une musique plus enlevée, libérée, plus fiévreuse, comparée aux ritournelles sages du vétéran. À l’image d’un James Dean, ou plus tard d’un Bruce Lee, le spectacle c’est lui, Elvis, une bête de scène dont chaque mouvement paraît chorégraphié. Le film essaye malgré tout de montrer Elvis comme on ne l’a jamais vu, avec le passage de la prison donne à voir un Elvis rasé qui n’a plus, durant quelques scènes, sa fameuse banane au gel coiffant ; prémonition de son service militaire qu'il effectue peu de temps après la sortie du film, entre mars 1958 et mars 1960. Le film, pour autant, n’est pas une réussite de tous les instants : le ressort dramatique éculé du plagiat de la maison de disque n’est pas des plus palpitant, la répétition à l’envi de Don’t Leave Me Now et So Young and Beautiful to Me, et la performance de jeu d’Elvis ne sont pas exceptionnelle. Le rock du bagne est un film fabriqué autour du King, qui tente de plaquer des recettes revues mille fois autour de son attraction vedette.
Plusieurs bons points apparaissent néanmoins régulièrement, comme quand Peggy conseille à Vincent de s’enregistrer pour s’écouter chanter et se rendre compte de ce qui ne colle pas ; la séquence, filmée dans un studio d’enregistrement, sonne assez vraie, Elvis étant en plus accompagné de ses propres musiciens. De même, le rock du Bagne s’identifie comme un musical ; les scènes chantées s’insèrent bien dans la narration, Vincent se produisant sur scène ou offrant une performance chorégraphique pour la télévision, Jailhouse Rock. Très bon numéro par ailleurs : chouette scénographie, où les personnages de détenus retrouvent une liberté totale, les portes de prisons s’ouvrant et se fermant sur deux niveaux au bon vouloir des danseurs. De même, Presley libère une énergie sexuelle sans commune mesure, et a plus la classe dans son (faux) costume de bagnard que durant tout le film, toujours accoutré de costards trop grands pour lui. Chorégraphié par Elvis lui-même, cette seule scène est la raison d’être du film (elle lui donne son titre) et son sommet. Dommage que le reste ne soit pas du même acabit, mais on s’en contentera !
Commentaires
Je fus moi aussi agréablement surpris et intéressé par cet Elvis movie. Le numéro-titre se détache de l'ensemble bien sûr mais il y a tout le long des petites choses bienvenues. J'aime beaucoup la sénce d'enregistrement. Par sa longueur, par le fait qu'Elvis s'y reprenne à deux fois, il se passe vraiment quelque chose. Un peu comme si l'on assistait "en direct", presque comme dans un documentaire, à une petite révolution musicale.
Bonjour Ed,
c'est tout à fait ça. La distinction réalité / fiction, déjà bien brouillée par le scénario, s'efface le temps de cette séquence en deux temps. Quelque chose se passe sous nos yeux, on assiste à la création artistique : c'est assez magique, et assez rare pour être apprécié à sa juste valeur.