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Les trois jours du Condor (1975)

Un film de Sydney Pollack

Qui suis-je ?


4674138989_8a24e69388_m.jpgDigne film d’espionnage, adaptation d’un roman de James Grady, le film de Sydney Pollack est tout à fait cohérent avec le corpus dédié au genre dans les années 70. Aliénation, paranoïa, complot au plus haut d’un État gangrené de l’intérieur, solitude désespérée, statut d’anti-héros. Dans les décennies précédentes, Redford aurait certainement interprété le rôle tel un agent secret bondissant et invincible, alors qu’ici il travaille pour la CIA mais "n’est pas espion". Son plan d’introduction, le montrant à cheval sur son Solex, habits dépareillés et négligés compris, est clair quant à son statut : il n’est pas cet homme d’action submergé de classe et tellement superficiel. C’est un personnage similaire que l’on verra dans Marathon Man (Dustin Hoffman, qui s’appelle Babe, pas vraiment le pic de la virilité absolue, qui formera avec Redford le duo d'anthologie des Hommes du Président). Les années 70 avaient besoin de réalité, mais pas forcément de réalisme : c’est dans cet écart spécifique qu’il dessine à mon sens le meilleur du cinéma. Réalisé juste après Yakuza, le temps d’un retour à la terre natale de Pollack, Les trois jours du Condor en garde une trace, en la personne de Janice. Elle travaille dans une société d’édition, et la première scène lui donne l’occasion de souffler la signification d’un kanji à John (Robert Redford), qui est aussi son compagnon. Et, comme Pollack l’américain avait tourné un vrai film japonais avec Yakuza, Janice fait le lien en retour, japonaise travaillant dans une ville américaine (elle est néanmoins née aux États-unis, comme le soulignera John).

Qui dit espionnage dit couverture : l’équipe dans laquelle intervient John est effectivement un leurre. Mais, à y regarder de plus près, pas tant que ça : comme le rappellent pas mal de personnages dans le film, il ne fait que "lire des livres". C’est plutôt l’utilisation de cette lecture qui va se différencier d’un boulot plus traditionnel. Il passe en effet tous les romans d’espionnage à la moulinette pour trouver des concordances avec les affaires passées de la CIA (son réel employeur), et des pistes pour de prochaines missions de l’organisme secret défense. Ce brouillage des pistes jette déjà un premier flou sur l’identité et le job de John. Ou, comme on l’apprendra une séquence plus tard, Condor ; nom de code désignant l’agent qui travaille pour la CIA. On épouse alors la désorientation de John lorsqu’il découvre que son bureau a été mis à sac et toute l’équipe sulfatée sans détail. Même ses amis ne semblent plus vraiment ses amis... En témoigne, la scène où la CIA lui promet de le rapatrier, par l’intermédiaire d’un de ses plus vieux amis, lequel se fait tuer sous ses yeux par un membre de son bureau... Dans un monde où personne ne connaît personne, communique par nom de code et identifiants, l’humain est mis en retrait derrière des numéros et une stratégie d’ensemble dont il est le jouet. Dans ce cas de figure, quoi de plus normal que de virer totalement paranoïaque, John exigeant sans cesse le nom de ceux qu’il a au téléphone, sensés le protéger. Et il fait bien.

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C’est son identité qui est en jeu, au cœur du film : sans référents sociaux stables, comment se situer soi-même ? Devant l’intuition que tout ce qui bâtissait son monde et ses repères se sont effondrés, John choisira de bifurquer en entrant dans la vie de Kathy. Devant son récit incroyable (la CIA passant systématiquement derrière lui, maquillant les meurtres à leur guise), elle aussi met en doute ce qu’il est en tant qu’homme : son métier, ses agissements. Mais, malgré tout, elle lui accorde sa confiance, petit à petit, dépassant ses primes craintes. Avec son aide et les rapports qu’il entretient avec elle, il arrive donc à se recréer une identité, et dénouer dans le même temps l’imbroglio improbable qui s’est tissé autour de lui. Le spectateur suivra tout à fait le même cheminement, accolé à la trajectoire de John/Condor/ Robert Reford.

Cette subjectivité est une des marques de ce cinéma des années 70, faisant place à une destruction sans route toute tracée pour la reconstruction, que le personnage trouvera ou pas ; au même titre que le spectateur, qui se satisfera ou non des conclusions de ces films (Conversation Secrète (Francis Ford Coppola, 1974), Marathon Man (John Schlesinger, 1976), À cause d’un assassinat (Alan J. Pakula, 1974) mais aussi The Shooting (Monte Hellman, 1967) ou Blow Out (Brian de Palma, 1981).

L’univers est détruit, miné par la désaffectation et les mensonges des gouvernements. Et il est clair que l’homme, seul, ne peut pas y pallier par son seul chef. Se clôturant sur un point d’interrogation pessimiste, le film, comme son réalisateur, en phase avec son époque, regarde le monde en sceptique, sinon en pessimiste. Soutenu par une filmage en accord total avec cette vision, le film est une grande réussite, et Pollack est dans sa période dorée (dans laquelle il a tout de même enchaîné Nos plus belles années, Yakuza et ce film-ci). Un sans faute.

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