Passé Virtuel (1999) (24/06/2010)

Un film de Josef Rusnak

4729119443_ac16f1bbfe_m.jpgAu rayon films de SF méconnus, dans l’ombre de Dark City, Matrix ou eXistenZ, Passé Virtuel (The Thirteen Floor, titre original abscond) se pose là. Il s’agit de l’adaptation d’un récit court des années 60, Simulacron 3, écrit en 1964 par l'américain Daniel Galouye. Rainer Werner Fassbinder l'avait déjà adapté en téléfilm, désormais sorti en vidéo, Le monde sur le fil. Doté d’un réalisateur et d’un casting d’inconnus, Passé Virtuel débarque en plein dans la période des films cyberpunk sur les réalités virtuelles, caractéristique du tournant des années 2000. 

Passé Virtuel constitue donc un petit film, pas dépourvu d’ambitions pour autant ; un peu ce que pouvait être à l’époque un Planète Hurlante (Christian Duguay, 1996), voire Cypher plus récemment (Vincenzo Natali, 2003). Le film de Rusnak surprend notamment par la reconstitution (pas si) virtuelle du Los Angeles des années 30. La tête pensante d’une société de recherches cybernétiques crée en effet une simulation du monde de son enfance, dans laquelle les êtres humains investissent un avatar, doubles d’eux-mêmes, qui leur permet d’interagir avec des "unités cybernétiques autonomes".

Mélangeant une société contemporaine hautement technologique et un passé nostalgique bien moins avancé, Rusnak recrée une ambiance steampunk (et son imagerie rétro-futuriste). Mais finalement, il est aussi question de voyage dans le temps, dans les souvenirs, tout en superposant sur ce canevas une intrigue aux tonalités film noir très marqué. Equilibriste des genres, tout cela, mal dosé, aurait pu donner un genre de Timecop (Peter Hyams, 1994) qui vieillit bien mal. Mais les indices, bien amenés, permettent au film de faire montre d’une belle dynamique. Le décorum, ainsi que les personnages (dont la belle Gretchen Mol, typique femme fatale) maintiennent la tension tout du long. On remarque même que c’est hors des scènes à effets spéciaux que se nouent les plus belles choses ; on pense à cet échange de regard à la caisse d’un supermarché où officie la jeune fille. Sa classe un peu hautaine a fait place à une commune vulgarité, et les personnages sondent ses yeux pour y déceler un indice… une belle séquence, inspiré du grand film d'Hitchcock, Sueurs froides (Vertigo, 1958).

Hannon Fuller, le créateur de l’univers, rapidement passager d’un aller simple pour le -vrai ?- monde des morts, sera cependant de nouveau à l’image, son double virtuel servant de guide à Douglas Hall, son futur successeur dans la simulation (interprété par Craig Bierko, habitué des séries télé et des films parodiques). Il apporte d’ailleurs une part bien sombre du métrage, ne hantant la simulation que pour batifoler avec des jeunes filles, assouvissant ses impérieux besoins de sexe. Le thème n’est malheureusement qu’effleuré lors des scènes d’un bar-cabaret luxueux, fréquenté par des riches bien ventrus, cigare au bec : une certaine vision de l’aristocratie.

Un intéressant jeu de miroir est de mise entre les deux mondes, un personnage commençant un geste que son avatar termine, ou des lignes de dialogues qui se renvoient la balle, se répétant en écho. Fuller disait avoir fait une découverte fondamentale, et le film nous donnera une réponse. Mais l’on peut également penser que la découverte, faite aussi par Hall, serait que les entités artificielles sont douées des mêmes facultés que les "originaux", en cela à considérer comme des individus bien réels, et non des marionnettes manipulables en tous sens. Ce même jeu évente d’ailleurs un peu vite le coup de théâtre final, et c’est bien dommage. Fonctionnant sur un schéma typique du jeu vidéo, le film nécessite une immersion totale. La plongée dans le virtuel est réussie, et reste différenciée du reste par des teintes plus monochromes, que remarque le spectateur comme les personnages. Le brouillage des cartes, propre à cette confrontation, opère naturellement, certes sans brio, mais efficacement. Passé Virtuel est donc un film honnête, ne se prenant pas pour plus fort qu’il n’est, nous offrant de bons moments de cinéma.

08:32 Écrit par Raphaël Joly | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : science fiction, états-unis, 90's, film noir |  del.icio.us |  Facebook | |  Imprimer | |